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Paiement des frais de justice, véritable handicap pour les survivantes des violences sexuelles à Kinshasa

Les violences sexuelles en République Démocratique du Congo sont une réalité. Les femmes et filles âgées ou moins âgées sont victimes de ces actes infractionnels. Les survivantes éprouvent d’énormes difficultés pour affronter la justice. Cela suite aux différents motifs entre autres, le manque des moyens financiers pour saisir la justice à tous les niveaux et très souvent, dans la plupart de cas, les victimes sont démunies, avec un pouvoir d’achat faible.
31-Juillet-2021

Pour contourner les difficultés, certaines survivantes qui arrivent à affronter la justice passent souvent par les organisations non gouvernementales qui défendent les droits des femmes et de la jeune fille. La Ligue de la zone  Afrique pour la défense des droits des enfants et élèves(LIZADEEL) est l’une des organisations qui apportent un soutien à ces survivantes.

C’est le cas de *Nancy (nom d’emprunt) accompagnée de son père que nous avons rencontré au siège de la LIZADEEL à Kinshasa.

« Nous sommes ici parce que ma fille de 10 ans a été abusée par son collègue âgé de 2 ans de plus qu’elle en juin cette année », nous explique le Père de la survivante devant sa fille.

« Grâce rentre en classe pour prendre son sac le soir à la sortie. Elle  se retrouve face à son camarade qui lui fait des attouchements dans ses parties intimes et cela a eu de l’influence sur l’appareil génital de ma fille. De son retour à la maison, on remarque les changements d’attitude et après investigations, Grâce avoue avoir été abusée », explique son père.


« Nous avons décidé de porter plainte au tribunal pour enfants. Une fois au tribunal, on nous demande de rentrer à la police pour d’éventuels éléments du dossier. On nous exige le PV de constat et la réquisition à médecin.

Ces différentes demandes ont nécessité des moyens financiers qu’on n'a pas.  Ce qui a fortement handicapé la suite du dossier de ma fille.

C’est la raison de notre présence ici à la LIZADEEL pour obtenir accompagnement judiciaire mais aussi psychologique », nous raconte le père de Nancy  avec angoisse.

La situation de Nancy n’est pas un cas isolé. Un autre cas similaire est celui de Blandine, une élève violée par ses camarades de classe en 2019. Sa mère affirme aujourd’hui connaître des difficultés financières pour couvrir les frais judiciaires.

« Ma fille a été violée par ses camarades de classe une soirée après la fête. Elle a été droguée et sept de ses camarades ont abusé d’elle après l’avoir emmenée dans un appartement où le viol a eu lilieu. Scène qu’ils ont eu le plaisir de filmer », nous explique en sanglot la mère de Blandine.

Cette affaire a suscité des remous dans la capitale congolaise. Les auteurs de ce crime proviendraient dans la quasi-totalité des familles aisées. Ce n’est qu’après cinq jours à dater de la commission des faits que la justice a été saisie. La famille de la survivante devait réunir les frais nécessaires pour la réquisition à médecin, les frais de justice et autres actes de procédure. C’est avec l’appui de la LIZADEEL qu’elle est parvenue à supporter les coûts.

« Deux ans après, depuis la saisine de la justice, j’ai le regret de voir que l’affaire n’a jamais pris fin au niveau de l’appel au tribunal de paix de Ngaliema », regrette la mère de Blandine.

Le premier Juge a condamné deux des sept enfants. “Nous sommes en appel pour qu’il y ait des condamnations pour les cinq autres aussi bien que certains ont été amenés par leurs familles en dehors du pays. Je suis fatiguée avec les frais de justice qui pèsent sur moi. Je suis obligée de payer les frais des assignations, des déplacements des avocats et d’autres frais de procédure. Je n’en peux plus. Avec 12 audiences en appel, ma famille m’a abandonnée car elle est fatiguée de me donner l’argent en disant que la procédure est devenue longue. Il n’y a toujours pas de jugement définitif », se gène la mère de Blandine en nous suppliant de l’aider à porter haut sa voix.

La problématique des frais de justice ne cesse d’être un obstacle pour les survivantes de violences sexuelles à Kinshasa. 

A Maluku, une des 24 communes de la ville de Kinshasa, Mme *Stéphanie affirme avoir abandonné le dossier de sa fille décédée suite à un avortement clandestin par manque de moyen et de soutien.

« Ma fille de 13 ans a été engrossée par un homme âgé d’une vingtaine d’années en juin 2020. Un jour, j’ai remarqué qu’elle saignait, après pression elle a avoué avoir été abusée par un jeune du quartier. Malheureusement, ma fille est décédée car ces saignements étaient dus à un avortement clandestin, initiative de son violeur », explique Stéphanie avec angoisse.

« Malheureusement pour moi, je n’ai pas les moyens financiers pour saisir la justice et porter plainte. Ma fille est partie de suite d’un viol mais son bourreau circule librement dans la nature niant même les faits », regrette Stéphanie avec amertume.                                                                                                                                                      Pour sa part, Godet Kayembe Président du conseil d’administration de la LIZADEEL affirme que son organisation reçoit des cas des viols sur mineurs et 50% des ces cas que traite son organisation, proviennent des milieux scolaires de Kinshasa. Pour l’année 2020, la LIZADEEL a enregistrée 667 cas de viol pour la ville de Kinshasa.

 « Nous recevons des cas des survivantes des viols dont nombreux viennent pour solliciter un accompagnement judiciaire et financier. Malgré nos moyens limités, nous les accompagnons jusqu’à  obtenir gain de cause. La LIZADEEL s’est donc résolue de prendre en charge les frais de justice et pour le cas de Nancy, l’affaire est pendante devant le tribunal pour enfants du ressort de Kalamu», nous révèle Godet Kayembe.

Me Serge TAMUNDELE accompagne les survivantes des violences sexuelles à travers sa clinique juridique. Il confirme aussi que les frais de justice constituent un handicap pour les survivantes d’accéder à la justice.

« La plupart des cas de violences sexuelles proviennent de familles démunies. 80 à 90% de cas que nous recevons proviennent de personnes qui ont des difficultés pour payer les frais de justice. C’est déplorable de voir même  qu’il existe des frais “dit et non dit” dans la loi et qui pèsent sur les survivantes », renchérit il.
Me Sysy Saphire affirme que les frais de justice demandés aux survivantes sont légaux mais dans la pratique il y a tout de même, des abus dans le chef de certains acteurs judiciaires qui exagèrent dans la perception de ces frais.

Un OPJ qui garde l’anonymat admet que les survivantes paient certains frais. Cela pour permettre la rédaction des PV d’audition, vu que dans la plupart des cas, les frais de fonctionnement ne sont pas réguliers.

« Nous manquons des papiers, stylos voire les moyens de faire déplacer les éléments de la police sur terrain pour s’enquérir des certaines informations nécessaires qui nous parviennent des cas des viols. Nous demandons à l’Etat de nous doter des moyens qu’il faut pour permettre aux survivantes de se sentir à l’aise et sans poids financiers  devant nous », insiste-t-il.
Maître Liévin GIBUNGULA, coordonnateur du collectif des avocats de la LIZADEEL, pense que pour lutter contre l’impunité des violences sexuelles en RDC, l’Etat est appelé à alléger les frais de justice qui pèsent sur les survivantes.

«  Le législateur congolais est appelé à élaborer une loi spécifique qui protège les victimes des violences sexuelles basées sur le genre. Cette loi doit supprimer les frais de justice pour les cas des VSBG pour faciliter l’accessibilité des survivantes à la justice. Des organisations qui accompagnent ces survivantes ont des moyens limités pour accompagner tout le monde à la fois, c’est pourquoi l’Etat doit agir aussi », pense-t-il.  

L’article 14 de la constitution de la RDC tient compte de l’intervention du pouvoir public dans la protection et la promotion des droits de la femme.

Travail réalisé par 
Chantal KABASUA
Avec l’appui de JDH

*Des noms d'emprunt


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